La question du risque dans les camps :
introspection dans la "New Jungle" de Calais
Intervention dans la « Jungle de Calais » (Pas-de-Calais) avec les étudiants de la promotion 2014-2016 du DSA Risques Majeurs de l’ENSA Paris Belleville.
Dans le cadre du troisième semestre du DSA, l’un des volets s’intéresse aux questions d’urgence et de ville résiliente.
Ainsi, pour travailler sur ce thème de l’habitat, dit « de l’urgence », les architectes et professeurs Cyrille Hanappe, Pascal Chombart De Lauwe et Marie Aquilino ; et leurs étudiants, se sont rendus dans le camp de migrants de Calais en Octobre 2015.
En effet, suite à la création du nouveau camp (La New Jungle) à Calais, le but de l’intervention était dans un premier temps de mettre en place un relevé de celui-ci pour mieux comprendre son fonctionnement.
Dans un deuxième temps, il a fallu s’appuyer sur cette introspection pour essayer d’élaborer un plan-guide de cette nouvelle « ville » en création, afin de réduire les différents types de risques.
Suite aux grandes vagues d’arrivée de migrants dans la plateforme de Calais, la « New Jungle » est devenue un lieu abritant un nombre très important de personnes, en transition ou en attente de régularisation. Durant le mois d’octobre, sur une période de trois semaines, le nombre de migrants est passé de 3 000 à 6 000 habitants, selon les sources officielles.
Par conséquent, l’ensemble du terrain qui leur était alloué s’est densifié et les logements (tentes et habitats construits en bois) se sont multipliés, augmentant par là-même les risques anthropiques (feux, prolifération des maladies dues à la pollution de l’air, mauvaise gestion des déchets, problèmes sanitaires, etc.) et la vulnérabilité aux risques naturels.
Par ailleurs, le terrain dédié au campement est en rupture totale avec le reste de la ville, par sa localisation et par ses limites physiques. Les migrants se retrouvent alors séparés du reste des habitants de la ville et n’y sont absolument pas intégrés.
Les étudiants, les professeurs du DSA, et Laurent Malone (intervenant pour le PEROU[1]) se sont alors rendus quelques jours dans le camp. Durant cette période, les étudiants se sont donc appliqués à relever, d’une part, l’ensemble des éléments de l’environnement bâti ; d’autre part les différents aspects humains et les flux de personnes et enfin l’ensemble des caractéristiques et des comportements humains liés aux risques dans le campement.
Suite à ce travail d’observation et de récolte d’informations dans le camp de Calais, les étudiants ont retranscrit l’ensemble des données dans un dossier graphique (cartographie, relevés habités, parcours des habitants, zones de risques, etc.).
Sur la base de ce travail, une réflexion a été menée sur le devenir de ces camps et leur possible appartenance à l’esquisse d’une ville en devenir.
Dans cette optique, un plan-guide d’intervention de la « New Jungle » a été mis en place pour œuvrer à la réduction des risques et à l’amélioration des conditions de vie des habitants.
Ce plan-guide est divisé en plusieurs parties.
Un premier chapitre établit la nécessité de mettre en place des infrastructures dans le campement pour assurer un éclairage des artères principales, une gestion des eaux et des déchets ainsi que des points d’information et de repérage.
Une autre partie s’applique à implanter des lieux communs dans le camp pour la vie sociale, sportive et culturelle des habitants. S’inscrivant toujours dans un cadre prenant en compte la gestion des différents risques, un ensemble d’équipements publics est proposé pour ponctuer et alimenter la vie des habitants.
Une troisième partie, s’apparente à un guide constructif pour les habitants, afin qu’ils puissent construire leurs habitations en respectant les règles de base pour éviter tout risque de danger et améliorer leur environnement. Ce guide est illustré et explique chaque étape de la construction d’un logement.
Enfin, dans un dernier chapitre, il a été établi un ensemble de lieux de vie communs pour les activités domestiques. Il est vrai que l’un des problèmes de ce campement est le manque de ce type d’espaces qui permet à tout un chacun d’assurer ses besoins primaires.
Ces modules vont alors venir s’implanter dans des zones identifiées comme des quartiers de la « New Jungle » et regrouperont à chaque fois des espaces de partage avec des sanitaires, une cuisine, des douches, des espaces extérieurs et intérieurs communs (pour manger, s’asseoir, etc.). Ces modules ont également été pensés pour réduire les risques, être les plus autonomes possible et être sécurisant pour les femmes et les enfants.
L’ensemble de ce travail de plan-guide s’inscrit dans le cadre du DSA Risques Majeurs mais a été mis à disposition de tous pour d’éventuelles interventions sur cette base.
Il est téléchargeable sur le lien ci-dessous :
Il est important de souligner que de nombreuses ONG et associations françaises et étrangères œuvraient et œuvrent toujours pour l’amélioration des conditions de vie des migrants dans le camp, qui a beaucoup évolué depuis l’intervention du DSA en Octobre 2015.
Aussi, avec le studio de master de Cyrille Hanappe, les étudiants sont de nouveau retournés à Calais en Mars pour compléter le travail débuté par le DSA, ils ont mis sur pieds un centre d’information dans le Camp à partir du 13 juin 2016.
Les camps sont aujourd’hui une composante majeure de la face du monde. D’après l’IDMC, fin 2014, 38 millions de personnes à travers le monde vivaient encore en situation de déplacement. Les campements font partie intégrante de nos villes et nos espaces urbains et sont pourtant menacés, stigmatisés et délaissés par la majorité des sociétés. Des limites physiques et psychologiques sont instaurées entre ces nouveaux habitants, qui s’approprient les espaces délaissés, et les habitants des villes. Pourtant, ces campements se multiplient et se construisent petit à petit à une échelle humaine et selon les besoins de leurs habitants.
Il est donc judicieux de se demander dans quelle mesure les campements sont les lieux de la création de nouveaux quartiers, voire de nouvelles villes. Comment l’architecte peut-il agir pour que la vulnérabilité de l’habitat précaire soit la plus faible possible ? L’exposition des habitants aux risques en serait amoindrie.
H. Baïram.
[1] Le PEROU (Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines) est une association fondée en septembre 2012. C’est un laboratoire de recherche-action sur la ville hostile conçue pour faire s’articuler action sociale et action architecturale en réponse au péril alentour, et renouveler ainsi savoir-faire sur la question. A Calais, le laboratoire a initié un travail de recherche et d’expérimentation intitulé « New Jungle Delire » pour accompagner la création d’une ville nouvelle par migrants et Calaisiens.