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Le Japon, une culture de prévention contre les risques majeurs

Voyage de découvertes avec les étudiants de la promotion 2015-2017 du  DSA Risques Majeurs de l’ENSA Paris Belleville

         Sur proposition de Boris Weliachew, architecte et ingénieur, enseignant du DSA Risques Majeurs à l’ENSAPB, nous nous sommes greffés à un voyage scolaire organisé autour d’un workshop[1] entre les étudiants de l’ENSA Paris Val-de-Seine – où il est également enseignant-chercheur – et ceux de l’Université de Nagoya[2].

        Notre excursion d’environ trois semaines s’est établie en deux temps. La première partie du voyage portait sur l’étude de la mitigation des risques, suivie d’une découverte culturelle et humaine.

 

          Pour comprendre le travail des Japonais ainsi que leur état d’esprit face aux risques majeurs, il nous a d’abord fallu comprendre leur histoire et leur civilisation. C’est ainsi que nous avons traversé plusieurs villes, à la rencontre de bâtiments remarquables et de témoignages intéressants, de Tokyo à Nagoya en passant par Sendaï et Kyoto, ainsi que d’autres sites plus intimistes aux paysages magnifiques.

 

        Tokyo. Cette capitale si moderne, laissant pourtant entrevoir çà et là des traces historiques avec ses temples et bâtiments anciens. C’est dans cette ville que nous avons interviewé l’architecte Kengo Kuma sur le rôle de l’architecte en zone sismique. « Il faut comprendre que la communauté au Japon joue un rôle primordial dans la prévention des risques » nous a-t-il dit. La notion de « community », comme l’appelle les Japonais, est étroitement liée à l’architecture dans les projets de reconstruction des villes, notamment dans le développement de la prévention,  auquel les architectes doivent se préoccuper.

        Qui dit « prévention » dit « éducation ». C’est ce que nous avons observé un matin alors que l’on petit-déjeunait sur une terrasse, avec une télévision accrochée au mur. Elle diffusait une émission d’information où l’on pouvait y lire des informations urgentes qui défilaient en haut de l’écran Un important séisme venait de frapper à nouveau la préfecture de Kumamoto (la région était alors confrontée depuis plusieurs jours à des séismes et des répliques de grande ampleur, causant des dégâts considérables, qui se sont répétés pendant plusieurs semaines par la suite). L’émission expliquait les mesures à suivre pour se protéger et que les moyens de confortement des bâtiments vulnérables face à un séisme, soit une partie du programme du DSA Risques Majeurs. Nous réalisions alors à quel point la société japonaise investissait dans l’éducation de la population face aux risques.

 

       Les conférences auxquelles nous avons pu assister à Sendaï nous ont éclairé davantage sur le sujet. Shoko Fukuya, architecte et membre de l’association ArchiAid[3], nous a tout d’abord fait part de son témoignage sur le grand séisme et le tsunami de mars 2011, qui « par la destruction des villes a complètement changé le paysage de la région ».

       Nobuyuki Arai, professeur à l’Institut Technologique de Tohoku[4], nous a révélé le devoir de l’architecte, qui commence avant tout par le « community design » : les architectes doivent faire participer les habitants en amont du projet, reformer une nouvelle communauté pour dessiner la ville. « Ce n’est pas l’architecture en tant que matière qui rendra une ville résiliente, mais bien l’architecture qui donnera force à la collectivité sociale grâce à son réseau de liens, créés entre individus ». Un vrai travail sur le rapport espace privé / public est alors demandé pour arriver à développer ce réseau communautaire. Les habitants sont les premiers à vouloir garder un lien entre riverains, se rassurer par la solidarité et s’entraider lors des catastrophes et ainsi assurer un minimum d’autonomie. C’est sous cette forme que se traduit la notion de résilience, qui rend efficace la méthode locale de prévention contre les risques.

        Si la force collective permet de « résister » au risque lié au tsunami, il existe différents dispositifs permettant d’atténuer le risque sismique. C’est ce que nous a présenté Kohju Ikago, professeur à l’International Research Institute of Disaster Science (IRIDeS[5]) dans le domaine de la recherche sur les technologies d’atténuation optimale. Il nous a expliqué comment conforter un bâtiment grâce à un dispositif de dissipation d’énergie via un amortisseur rotatif inertiel, une invention propre à leur laboratoire.

 

       Un des moments qui nous a tous particulièrement marqué fut la visite du « Sendai 3/11 Memorial Community Center »[6] qui venait d’ouvrir, 5 ans après le grand tsunami de Tohoku. Invités par Masashige Motoe, professeur à l’Université de Tohoku et Secrétaire Général de l’association ArchiAid, nous avons pu admirer les différentes installations et maquettes réalisées par les habitants victimes de la catastrophe et par les architectes. Le professeur Motoe, ayant participé au projet de ce centre ouvert à tout public, nous a expliqué l’histoire de ce lieu rempli d’émotions de part les témoignages. L’expérience ne devait pas être trop virulente pour les visiteurs qui avaient personnellement vécu le désastre. Le centre montre surtout l’espoir en la reconstruction des villes, un espoir tourné vers la force collective que peut avoir un esprit communautaire. « Le tableau d’illustration de la zone côtière de Sendai» qui révèle les souvenirs et les vœux de chacun montrent le déterminisme des habitants. Non loin du centre de Sendaï, c’est une visite qui vaut un petit détour. A ne pas rater !

        Guidés ensuite par Daisuke Sugawara, responsable de la planification urbaine à la section politique du logement de la ville de Sendaï, nous avons également pu visiter une tour d’évacuation[7] installée dans une zone à risque qui se densifie malgré l’exposition au risque de tsunami. Nous avons pu constater que cette tour était munie d’un « shelter », un refuge doté de quoi nourrir, soigner et se couvrir, en plus d’un sanitaire. Cette installation est capable de recevoir jusqu’à 300 personnes en cas de catastrophe.

     Le soir venu, telle que le veut la tradition, nous avons échangé avec des architectes travaillant pour la mairie, autour d’un repas dans un « izakaya », un bistrot version nippone. Les Japonais nous ont montré toute leur générosité à travers des témoignages et des histoires personnelles vécues suite au tsunami de 2011. Le rire, le festin et les cadeaux ont rythmé ce dîner particulièrement chaleureux.

 

     Nous avons eu l’occasion de ressentir un tremblement-de-terre, d’intensité 2 sur l’échelle japonaise (d’après les mesures enregistrées par le sismomètre de la mairie de Sendai). Plusieurs secondes nous ont été nécessaires afin de réaliser que des suspensions lumineuses oscillaient et que le sol bougeait. Il représentait certes un « petit séisme » pour les Japonais, d’une durée de 15 à 20 secondes, mais il était suffisamment grand pour que nous le ressentions. Evidemment, pour un séisme d’un tel niveau, le peuple japonais ne pense même pas à s’abriter – ni même lever la tête pour voir ce qu’il se passe – nous, étrangers, avons arrêté nos activités pour prendre conscience de ce qu’il se passait.

 

      Notre investigation concernant la mitigation des risques s’est poursuivie à Kyoto, où nous avons pu vivre une expérience didactique au Centre de Prévention des Risques de Kyoto[8]. Ce site a pour but d’informer la population concernant les différents risques liés aux catastrophes naturelles et d’éduquer sur les comportements à avoir en cas d’urgence (ou de prévention). Il propose un programme complet de formation avec des salles simulant chaque type de risque : le séisme (les premiers réflexes à avoir en appartement), la fumée (évacuation en cas d’incendie), le feu (utilisation d’un extincteur), ou encore d’autres installations permettant de rendre compte de la force du vent et de celle de l’eau. Ce centre étant capable de former les enfants dès le plus jeune âge, il joue un rôle important dans la prévention des risques du quotidien.

 

      Pour compléter nos expériences vécues à Kyoto, nous avons pu découvrir le Centre de Recherche sur la Mitigation des Risques[9] à Nagoya que dirige le professeur Nobuo Fukuwa. Il fut intéressant de voir de nos propres yeux les dispositifs permettant d’isoler le bâtiment du sol dans le but de minimiser l’impact sismique lors d’un tremblement de terre ; un système visible depuis la base même du bâtiment. Le plus inédit fut l’expérience que nous avons pu vivre dans le laboratoire expérimental installé sur le toit, lui-même isolé par rapport au bâtiment. Cette installation permet de simuler un tremblement de terre en faisant osciller la structure-même du laboratoire. Résultat : nous avons peiné à rester sur place. Nous avons également pu assister à une simulation du séisme de mars 2011 par une plateforme qui reprenait le mouvement exact enregistré dans un bâtiment se trouvant dans le quartier de Shinjuku, à Tokyo. Ses trajectoires, grandes, brutales, et la durée du séisme qui nous a paru incroyablement longue nous ont tous laissés ébahis.

      Gardant en tête tout ce que nous avions appris et vécu grâce à nos intervenants dans l’étude sur la mitigation des risques, nous, membres de l’association des Architectes des Risques Majeurs, nous sommes dirigés vers le sud, pour enrichir notre découverte de la culture nippone.

      A travers une randonnée à Kumano (préfecture de Wakayama) qui dévoile la nature dans toute sa splendeur, les ruelles animées d’Osaka, les installations artistiques et musées qui charment l’île de Naoshima, le musée du Mémorial pour la Paix d’Hiroshima qui nous rappelle l’horreur de la guerre, l’île sacrée de Miyajima et son portail traditionnel romanesque, nous avons retrouvé les motivations qui nous ont amenés, en tant qu’architectes, à concevoir une architecture consciente de son environnement et respectueuse des populations.

Nous avons d’ailleurs pu constater que les cours d’eau à Miyajima avaient été traités grâce à des installations de barrages, ou simplement par l’aménagement de grands rochers disposés le long du lit mineur de sorte à canaliser le débit d’eau. Ces installations s’intégraient parfaitement dans la nature, dans le souci de minimiser l’impact à l’environnement. Ces différents types de barrages représentent aujourd’hui un attrait touristique pour l’île et font partie d’un enjeu économique.

                 

     Cette excursion n’aurait pu être aussi remarquable sans les précieuses rencontres que nous avons faites au cours de notre séjour au Japon. Ces échanges nous ont permis de nous rapprocher davantage de la culture japonaise et a rendu ce voyage exceptionnel.

     A nos amis japonais : traduisez les menus au restaurant, en tant que français, on aime manger ; on dévorerait tous vos plats avec grande gourmandise si nous n’étions pas aussi peu courageux !

 

17.05.2016

L.A.Rinck et C. Coderch

 

[1]Workshop organisé en avril 2016 à Nagoya, entre les étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Val-de-Seine et de l’Université de Nagoya, sur le thème de la mitigation des risques; nous n’en avons pas fait partie.

[2]Université de Nagoya (名古屋大学):http://en.nagoya-u.ac.jp/

[3]ArchiAid (アーキエイド): Association de secours et de reconstruction par les architectes après le séisme et le tsunami de Tohoku _http://archiaid.org/english/. Il s’agit d’un organisme proposant une plate-forme entre les habitants et différents corps de métier, pour soutenir la reconstruction et le développement régional à travers un réseau international, en s’appuyant sur l’éducation, sur la prévention et la mémoire du risque.

[4]Tohoku Institute of Technology:http://www.tohtech.ac.jp/english/index.html

[5]IRIDeS (災害科学国際研究所): International Research Institute of Disaster Science

http://irides.tohoku.ac.jp/eng/index.html

[6]Sendai 3/11 Memorial Community Center (せんだい3.11メモリアル交流館):

http://sendai311-memorial.jp/

[7]Tour d’évacuation de tsunami à Nakano 5-chome :cf«Outline of the Nakano 5-chome Tsunami Evacuation Tower.pdf » / «Tsunami_EvacuationGuidelines_Sendai map.pdf »(en pieces jointes)

[8]Kyoto City Disaster Prevention Center (京都市市民防災センター):

http://web.kyoto-inet.or.jp/org/bousai_s/english/index.html

[9]Disaster Mitigation Research Center (名古屋大学減災連携研究センター):

http://www.gensai.nagoya-u.ac.jp/en/

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